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Cesare Pavese

Je courais le long d'un canal
et j'ai pensé à un poème de Pavese

Viendra la mort

J'étais à Strasbourg, une ville plate,
et j'ai pensé aux collines de Turin,
où je ne suis jamais allée.

C'était le matin,
le ciel était couvert,
l'eau était grise,
et j'ai pensé au poète Pavese
regardant le soleil se coucher sur les collines.

Je courais entre des pêcheurs
et des promeneurs de chiens,
une activité triviale,

et j'ai pensé au soleil qui continuait à se coucher

derrière les collines de Turin.

Viendra la mort

J'ai regardé une goutte tomber dans le miroir d'eau glauque,
les cercles concentriques rider la surface du canal,
puis une deuxième goutte
et les deux réseaux de cercles se rencontrer
et former leur dessin complexe,
trois, quatre, plusieurs gouttes,
le canal sous la pluie,
je continuais à courir
et j'ai pensé à beaucoup de pluies,
à des cailloux et à des ruiseaux dévalant les pentes,
à assez de pluies

pour faire disparaître les collines de Turin

longtemps après la mort du poète.



L'eau dégoulinait le long de mes cheveux,
me coulait dans les yeux,
et j'ai pensé qu'un jour,
ici, il n'y aurait plus personne,
personne ne courrait plus sur les pistes cyclables,
il n'y aurait plus de piste cyclable le long du canal
et il n'y aurait plus de canal,

pourtant l'eau continuerait à couler,
des morceaux du monde continueraient à tomber,
la terre tournerait toujours autour de son axe
et ferait se coucher le soleil

même si personne ne le regarderait plus.

Trempée jusqu'aux os,
j'ai pensé que,
lorsque même tout ça aurait disparu,
blottis au cœur des atomes,
les neutrons et les protons continueraient
à se serrer les uns contre les autres,
et j'ai pensé qu'ainsi il y aurait une chance,
une chance infime mais une chance quand même

qu'il y ait à nouveau un jour

et qu'il y ait à nouveau une ville de collines

et un homme qui y écrive

et elle aura tes yeux

avant de se la donner,

la mort.



Ludmila Duchêne
8 avril 2007