Je courais le long d'un canal et j'ai pensé à un poème de Pavese Viendra la mort J'étais à Strasbourg, une ville plate, et j'ai pensé aux collines de Turin, où je ne suis jamais allée. C'était le matin, le ciel était couvert, l'eau était grise, et j'ai pensé au poète Pavese regardant le soleil se coucher sur les collines. Je courais entre des pêcheurs et des promeneurs de chiens, une activité triviale, et j'ai pensé au soleil qui continuait à se coucher derrière les collines de Turin. Viendra la mort J'ai regardé une goutte tomber dans le miroir d'eau glauque, les cercles concentriques rider la surface du canal, puis une deuxième goutte et les deux réseaux de cercles se rencontrer et former leur dessin complexe, trois, quatre, plusieurs gouttes, le canal sous la pluie, je continuais à courir et j'ai pensé à beaucoup de pluies, à des cailloux et à des ruiseaux dévalant les pentes, à assez de pluies pour faire disparaître les collines de Turin longtemps après la mort du poète. |
L'eau dégoulinait le long
de mes cheveux, me coulait dans les yeux, et j'ai pensé qu'un jour, ici, il n'y aurait plus personne, personne ne courrait plus sur les pistes cyclables, il n'y aurait plus de piste cyclable le long du canal et il n'y aurait plus de canal, pourtant l'eau continuerait à couler, des morceaux du monde continueraient à tomber, la terre tournerait toujours autour de son axe et ferait se coucher le soleil même si personne ne le regarderait plus. Trempée jusqu'aux os, j'ai pensé que, lorsque même tout ça aurait disparu, blottis au cœur des atomes, les neutrons et les protons continueraient à se serrer les uns contre les autres, et j'ai pensé qu'ainsi il y aurait une chance, une chance infime mais une chance quand même qu'il y ait à nouveau un jour et qu'il y ait à nouveau une ville de collines et un homme qui y écrive et elle aura tes yeux avant de se la donner, la mort. Ludmila Duchêne 8 avril 2007 |